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L'industrie du troisième millénaire

  in www.01net.com, août 2001

 

  MYTHES ET RÉALITÉS D'INTERNET    

Nutrisco et Extinguo

 

Thierry Ehrmann (Groupe Serveur) :
« La gratuité n'est tout simplement pas adaptée au Net »

Sur Internet, tout est gratuit : accès, contenu, services.

Accès gratuit, communications téléphoniques gratuites, journal du jour gratuit, matériel hi-fi à prix cassés avec livraison gratuite... bref, sur Internet, tout est imprégné de l'idée de gratuité. Ou plutôt, l'était. Les fournisseurs d'accès ont fait marche arrière ; les éditeurs de contenus, en panne de revenus, baissent les bras ; et les marchands coulent les uns après les autres, faute de rentabilité. Pourtant, rares sont les sociétés à avoir réussi leur passage au modèle payant.

La gratuité est-elle inhérente au concept même de l'Internet ou bien n'est-ce qu'un leurre à la peau dure ? Thierry Ehrmann, président et fondateur en 1987 de Groupe Serveur, apporte sa vision d'ancien de l'ère télématique et de précurseur de l'Internet en France. Pour lui, considérer Internet comme un espace où tout est gratuit relève d'un « manque de culture Internet ». D'autant que « gratuité » rime selon lui avec « mauvaise qualité ».

01net. : Pourquoi l'idée de gratuité rime-t-elle avec Internet ?

Thierry Ehrmann : Internet n'a jamais été gratuit. Il existe des îlots de gratuité, bien sûr, comme les milieux universitaires ou scientifiques. Mais c'est un manque de culture Internet que de considérer le Web comme un espace de gratuité totale.

La notion de gratuité a été introduite dans les années 1992-1993. A cette époque, les banques d'affaires [...américaines] ont élaboré des modèles économiques qui reposaient sur la vente d'espaces publicitaires où tous les contenus et services étaient gratuits. C'est seulement à cette époque que cette idée s'est répandue. Mais ils se sont trompés dans leur analyse.

Ce concept aurait donc été inventé par des hommes d'affaires qui ont un jour débarqué sur Internet sans rien y connaître ?

Oui. Ils se disaient : « Le consommateur est passif, alors il lira bêtement les bandeaux publicitaires. » Mais c'est une réflexion totalement erronée. L'internaute est actif : il sélectionne ce qu'il lit, il choisit ce qu'il fait et là où il va. Et quand il est sur un site, avec l'habitude, il ne voit même plus les bandeaux de publicité.

Alors oui, les coûts de production sont moins élevés sur Internet. Mais ce n'est pas une raison pour faire du tout-gratuit. Dans la presse, le lecteur doit s'acquitter de son information, c'est presque freudien. Ne serait-ce que du point de vue de la crédibilité du support.

D'ailleurs, en dehors de certains domaines particuliers, la gratuité ne permet pas à une entreprise dont c'est le métier de créer des contenus de qualité. Le risque du modèle gratuit, ce serait que l'on ne puisse plus se procurer sur le Web des contenus de qualité. Le droit d'accéder à l'intelligence deviendrait alors caduc sur le Web.

Ce principe de gratuité en est même dégradant pour les journalistes, qui voient leur travail livré gratuitement. Le modèle du gratuit a été imposé par des Anglo-saxons qui venaient d'Hollywood et qui méprisaient les droits d'auteur.

Cette notion de gratuité conduit à ce que seulement 2 % des capacités de fibre optique soient utilisées en France. Tout ça parce que l'économie du gratuit n'est pas rentable et qu'elle ne suffit pas à remplir les tuyaux. On est en surcapacité partout !

A vous entendre, cette idée de gratuité est en voie de disparition...

Non, bien sûr. Les îlots de gratuité existeront toujours. Ce qui est génial, c'est qu'un particulier a la possibilité de publier dans le monde entier une information afin de lutter contre une multinationale. L'Internet conservera cet aspect révolutionnaire. Un autre fabuleux exemple est que 750 000 sites associatifs existent en France, alors qu'ils n'ont jamais pu aller sur le Minitel.

La gratuité existera toujours dans la dimension individuelle et ludique du Web (pages personnelles) et pour les communautés scientifiques, là où des budgets sont accordés pour que les résultats de recherche deviennent un jour publics, ou dans sa dimension ludique. Ces îlots de gratuité sont la colonne vertébrale du Web. Mais ils ne doivent pas être généralisés à l'ensemble du Web.

Cependant, aujourd'hui, plus un seul modèle économique de société qui entre en Bourse ne repose sur la gratuité ! 80 % des analystes conviennent qu'ils se sont trompés. Mais après avoir fait fausse route pendant près de dix ans, le risque est que le consommateur considère la gratuité comme inhérente à l'Internet, et qu'il s'habitue alors à la mauvaise qualité. Et ça, ce serait grave...

Mais si les internautes sont accoutumés à cette idée de gratuité, n'est-il pas trop tard pour leur demander de payer ce qu'ils ont toujours obtenu gratuitement ?

Cela se passe comme avec la télématique il y a vingt ans. Le consommateur devient de plus en plus intelligent. Il fait la différence entre les contenus dégradés et les contenus de qualité. Tout comme entre les marchands qui proposeront des services à valeur ajoutée et les autres. La gratuité n'est tout simplement pas adaptée au Net.

L'évolution est incontournable. Mais la transition nécessaire afin d'habituer les internautes à payer le contenu ou les services qu'ils consomment ne sera pas rapide. Elle ne se fera que lorsque l'on libérera de la bande passante pour qu'il y ait enfin de bonnes vitesses de connexion. Espérer créer un contexte favorable au développement d'une économie sur le Net est une utopie quand l'accès à Internet est à 56 kbit/s.

Même l'économie d'Internet est fondamentalement imprégnée de cette conception. Le principal intérêt des webmarchands réside toujours dans les prix qu'ils pratiquent...

Les sites marchands, c'est un échec total, qui est principalement dû à un manque de culture. Avant tout, Internet est le plus grand réseau de distribution de contenus numériques jamais créé. Un site marchand ne peut être qu'une excroissance d'un marchand traditionnel. Les webmarchands ont pu concéder jusque-là certaines choses, comme pratiquer des tarifs très bas ou offrir la livraison, afin d'atteindre une masse critique.

Mais, maintenant, on ne peut plus se permettre n'importe quoi, les choses sérieuses commencent. Et l'on va passer du bit à l'atome, du virtuel au physique, des problématiques de front office à celles de gestion des livraisons. Et dans ce dernier domaine, seuls les marchands traditionnels savent s'y prendre.

Si le modèle gratuit a fait long feu, pourquoi les acteurs n'ont pas cherché à évoluer plus rapidement vers d'autres modèles ?

A cause des prospectus d'introduction visés par la COB, ou la SEC aux Etats-Unis. Une société ne peut pas vendre un prospectus aux marchés et changer de stratégie à 180 degrés du jour au lendemain, sous peine de poursuites de la part des autorités de tutelle des marchés. Car ces dernières ont visé le prospectus par rapport à un modèle économique présenté par la société. Et les actionnaires se sont engagés sur ce projet. C'est un véritable contrat.

Mais les sociétés qui fondent leur activité sur le gratuit déposent toutes leur bilan, petit à petit. Et plus aucune société ne rentre sur les marchés sans un modèle économique fiable. La purge a eu lieu. La transformation peut donc s'opérer.

Frantz Grenier
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